Les mille et une pratiques du city stade

Les mille et une pratiques du city stade

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Socio-urbaniste, L’usage des lieux

Le city stade a ceci de singulier qu’il fait partie des objets de la ville qui font débattre. On le pratique, on l’aménage, on le critique ou on le déteste, c’est selon. Ce qui est sûr, c’est qu’il existe et se développe encore, et en observant les mille et une pratiques qui s’y déroulent on comprend qu’il s’y joue un rapport à la ville et aux relations sociales complexe. Finalement, loin d’être un objet standardisé des catalogues d’équipements, le city stade est sans doute un véritable objet de projet, urbain et social.

Objet multiple

 

Le city stade fait en effet partie des équipements sportifs et récréatifs, de loisirs, de plein air, libres d’usages, gratuits et ouverts à tous, à côté aujourd’hui des parcours de santé, des plateformes de fitness ou de musculation, de street workout, des aires de skate. Il est urbain mais pas seulement : on le rencontre tout autant dans les quartiers des villes, les communes périurbaines, rurales, ou encore dans les espaces de loisirs, les parcs urbains, mais aussi dans les campings et les villages de vacances. De formats tout aussi divers, il peut être une surface dure brute, entourée de barrières basses, ou encore une sorte d’immense cage à l’intérieur de laquelle se déploie, par le jeu des marquages au sol et des installations périphériques, de quoi jouer au basket, au foot, au handball, et même au tennis. Il est posé en bord d’avenue, au cœur d’un parc, au pied des immeubles, seul ou partie d’un ensemble, au milieu de tables de ping-pong, d’une piste de course ou d’autres installations.

 

Le city stade est donc un objet multiple, et les pratiques sportives qui s’y déroulent le sont tout autant. C’est en constatant cette variété qu’il semble intéressant de dire à quel point il doit devenir un objet de projet, plutôt qu’un simple équipement, une figure de catalogue d’équipements adressé aux mairies. Plus encore, on se rend compte qu’il implique un jeu social qui nous en dit long sur la ville d’aujourd’hui, le rapport à l’espace public et aux sociabilités dans la ville. Raison de plus pour en maîtriser le projet.

 

City stade de Lespinasse, Toulouse © Céline Loudier-Malgouyres

 

Revue de situations

 

Un groupe de jeunes adolescents se retrouve une après-midi de week-end pour jouer ensemble : des amis de collège, avec parmi eux des licenciés en handball, en basket ou en waterpolo, qui ont en commun le plaisir du ballon. Ils décident d’aller au « city de Struxiano », mais en arrivant, après 30 minutes de marche à travers les quartiers résidentiels, le terrain est occupé par un groupe de « grands », « hyper balaises », en pleine partie de street basket. Ils attendent, puis finalement renoncent. Ils n’ont plus le courage d’aller « sous le pont », à l’autre city stade qu’ils connaissent. Ils décident dorénavant d’aller jouer le matin, avant 10 h. À cette heure-là, les « grands » dorment paraît-il. Partage du temps.

 

Au cœur de Bagatelle, quartier populaire, mercredi après-midi, d’autres « grands » jouent au foot dans le city stade. Un groupe de filles accoudées aux barrières les regardent et les charrient. Ce sont des connaissances du quartier, du lycée, du collège. Ils plaisantent ensemble, se séduisent aussi. Les filles rient et les garçons font les pitres. Les filles commentent, les garçons rient. Après, ils iront s’assoir ensemble sur des bancs jusqu’à l’heure de rentrer à la maison. Ils auront en effet quitté le terrain, parce qu’une bande d’une douzaine de « petits », les 8-10 ans, sont arrivés le ballon sous le bras, farouchement déterminés à jouer au foot. Après quelques ajustements verbaux, les grands cèdent le terrain. Partage de l’espace.

 

En face de l’école, à côté du complexe sportif composé de stades et de vestiaires réservés aux clubs, le city stade de Castelmaurou, commune périurbaine à la lisière de la métropole toulousaine, attire avec son terrain et ses tables de ping-pong, sa rampe de skate et ses bancs, des jeunes de la commune qui viennent à pied ; mais aussi des jeunes des communes alentour, venus soit en voiture accompagnés par leurs parents pour l’après-midi (comme on déposerait son enfant au cours de tennis), soit en vélo parce que leurs parents leur font confiance sur ces routes départementales sans piste cyclable : une grosse vingtaine d’enfants âgés de 7 à 16-17 ans qui se connaissent par habitude. Quelques filles se retrouvent là pour le sport mais plus encore pour passer le temps, en jouant au ballon, au tennis, au ping-pong, mais aussi à chat autour du terrain. Partage d’âges. De pratiques.

 

À Berlin, au Mauerpark, célèbre pour ses animations auto-organisées par les habitants (en particulier un fameux karaoké géant qui attire tous les week-ends quelques centaines de spectateurs dans l’amphithéâtre de plein air), se jouent aussi l’après-midi des parties enragées de street basket. Sans clôture, le terrain est totalement ouvert, simplement bordé à distance par un muret sur lequel sont assis quelques dizaines de spectateurs qui assistent pour le plaisir à ce jeu corps à corps du basket de rue. Partage d’émotions.

 

City stade du Mauerpark, Berlin © Alamy Stock Photo

 

Jeu social dans la ville

 

Ces différentes scènes d’usages, rapportées d’enquêtes de terrain réalisées dans le cadre d’études ou de projets urbains, nous montrent que les pratiques sportives qui se déroulent sur un city stade nous parlent aussi de la manière dont les relations sociales se jouent dans la ville. On relèvera modestement, à titre d’interrogations, trois dimensions qui nous amènent sur le sujet de l’espace public.

 

Des pratiques libres. Le city stade, c’est d’abord l’attrait d’une pratique sportive à plusieurs, le plaisir du jeu collectif sur un espace libre d’accès, gratuit, en dehors des cadres associatifs ou des clubs. C’est l’initiative, plus ou moins préparée ou anticipée, d’un groupe d’amis, de connaissances ou de « coprésents » (ceux qui viennent pour être cooptés par le jeu), qui est à l’origine du jeu sportif. Dans une ville et une société où tout est bien souvent réglementé, l’intérêt d’un lieu qu’on peut fréquenter sans réserver, sans payer, libre d’usages, est précieux, et il plaît.

 

Des pratiques visibles. Alors que le sport semblait attaché à des aires dédiées, souvent en retrait des centralités urbaines ou des lieux de passage, on voit le succès des diverses plateformes qui s’installent au cœur des flux, en façade urbaine. Là, l’exposition des corps, transpirants et dans le mouvement, ne semble plus gêner les rapports sociaux, loin des codes de civilité qui semblaient régir les espaces publics. C’est là le sport spectacle, mais plus encore le jeu du binôme spectacle-spectateur, quand le passant prend plaisir à être usager de l’espace public en devenant spectateur d’un spectacle offert par d’autres usagers. Concomitamment, on observe que le sport est une pratique qui se combine très bien aux autres usages des espaces publics urbains : commerce, mobilités, distractions… C’est la mixité des usages, facteur clé d’un espace public vivant.

 

Des pratiques négociées. En même temps que la pratique sportive, ce qui se joue socialement c’est le rapport des pratiquants entre eux. Le city stade est un espace de négociation. On discute sa place, la place de son groupe avec celle d’un autre groupe, on discute les règles qu’on va se donner pour jouer. C’est une scène de négociation mais c’est aussi une scène de conflit dont l’issue n’est pas donnée au départ. Il faut voir ces bandes de 8-10 ans arriver avec leur ballon sous le bras, le sourire jusqu’aux oreilles dans la perspective de la partie à venir, puis la colère de dépit sur les visages quand ils n’arrivent pas à s’accaparer le terrain ! C’est là que le « city » est critiqué, parce qu’il donne souvent la prime aux plus âgés, plus forts, plus masculins. Si l’on considère que s’y jouent les rapports sociaux de l’espace public, de l’individu avec le groupe et avec la société, on se rend compte que le city stade n’est qu’une figure de ces lieux ou de ces scènes où se jouent les rapports sociaux. On peut alors en effet y voir des logiques et des mécaniques de domination, d’exclusion. Mais plus encore, si l’on considère le city stade comme une figure de l’espace public, donc un lieu ou une scène de rapports sociaux, de rapports entre individus réunis par la fréquentation d’un même lieu autour d’une pratique, les ajustements, les négociations et le conflit potentiel sont au cœur de la situation. On peut ainsi penser que tant que la parole (et non les mains !) réussit à régler les scènes d’usages, alors on est dans le processus de socialisation urbaine. C’est sa place dans le monde relationnel, de ses échanges et de ses lois, qu’on joue quand on pratique le city stade. La question se pose de savoir s’il faut être accompagné ou non.

 

Le city stade n’est pas un objet facile socialement. Même s’il est star des catalogues d’équipements adressés aux mairies, et qu’on pourrait le penser standardisé, le « city » est en fait un objet multiple, complexe. En observant ses différentes situations de pratiques, il semble intéressant de le penser non pas comme un simple équipement à poser ou aménager, mais bien comme un objet ou un outil de projet. Il peut jouer un rôle de support pour différentes politiques urbaines, en faveur de la jeunesse, de la santé publique, de l’insertion sociale ; on le voit dans certains cas où différentes actions sociales y sont programmées. Il peut répondre à un enjeu de centralité urbaine, d’attractivité, d’animation ; on le voit quand il est positionné au cœur d’un quartier pour jouer le rôle de moteur à la reconquête d’un espace public. Il est une figure de l’espace public, il est sans doute lui-même un espace public, et, comme tout espace public, il est intéressant de le penser à partir de ses pratiques sociales, et de manière transversale pour ses qualités urbaines comme sociales.


© Céline Loudier-Malgouyres

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